Résumé du spectacle
Qui a peur des sœurs Papin ? Un siècle après le meurtre effroyable de leur maîtresse de maison, ce couple sororal énigmatique, ressuscité sous la plume de Genet dans les Bonnes, garde toute sa charge infernale. Genet était un fervent lecteur de Détective, dont les faits divers et les photographies d’assassins constituent la matrice de nombre de ses œuvres. Genet y scrutait les visages de condamnés à mort enchanteurs parce que pourvoyeurs de légende et de fiction.
Dans l’espace clos et interdit de la chambre de Madame, les deux sœurs mettent en scène une cérémonie qui rejoue la relation fantasmée à leur maîtresse : incapables d'exister en-dehors d'elle, mues par la détestation et la fascination, ne sachant plus qui elles sont, le meurtre devient inexorable.
La pièce de Genet est d’une extraordinaire modernité parce que le monstrueux fascine, que les débordements de haine surviennent face à un Autre que l’on n’arrive pas à identifier comme une part de soi-même. Les corps incarnent cette descente aux enfers de consciences égarées par la perte de repères, la méconnaissance de ce que l’on est et de ce qu’on pourrait être. Le passage incessant de l’irréel au réel, du réel au fantasme a pour toile de fond la quête d’une identité qui se dérobe.
Que les deux bonnes paraissent en scène sans la présence de « Madame » oriente toute la dramaturgie. Madame, ce fantasme très clairement érotisé est à la fois signe et totem de l’animosité qui consume les personnages, et qui prend sa source dans le cerveau détérioré des sœurs. Madame n’est qu‘un prétexte. Littéralement réifiée, elle n’est plus qu’un objet escamotable.
Toute la dynamique scénographique est orientée par le dévoilement de ce totem monstrueux. Toute la pièce baigne dans la pulsation des désirs et des peurs, de l’angoisse et de la perte.
Au-delà du drame social, un chant de haine, hanté par la psychose.